Publié le 20/06/2025

Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre Mission Locale ?

Je travaille dans le réseau des Missions Locales depuis 1991. Au cours de ma carrière, j’ai été directrice de la Mission Locale de Cergy-Pontoise, et depuis 2015, je dirige la Mission Locale du Bergeracois. Elle couvre un territoire très étendu composé de 138 communes majoritairement rurales. Chaque année, on accueille, en moyenne, 2500 jeunes répartis dans nos 9 points d’accueil.

Vous avez été directrice de Missions Locales situées en zone urbaine puis en zone rurale. Quelles différences avez-vous constatées concernant les jeunes de ces territoires ?

Un jeune des “quartiers” et un jeune vivant en milieu rural ont les mêmes préoccupations et les mêmes centres d’intérêt, même si les environnements sont très différents. Par exemple, avec l’accès à la culture qui n’est pas le même. En revanche, je pensais, grâce à ma précédente expérience de directrice, connaître l’ensemble des difficultés et parfois la misère qui pouvaient toucher les jeunes. En arrivant en milieu rural, j’ai compris que l’isolement lié à la ruralité amplifiait les difficultés. On peut être isolé en banlieue, mais on peut être plusieurs à être dans cette situation au pied de l’immeuble par exemple. À la campagne, on est complètement isolé.

Quelles sont les problématiques rencontrées par les jeunes accompagnés par votre structure ?

Sans surprise, on peut citer la mobilité ou l’accès au logement comme principaux freins à l’insertion. Cependant, nous avons constaté un phénomène très important d’isolement des jeunes accompagnés et un besoin très prégnant de lien social. Cela nous a amenés à orienter notre action sur le champ de la santé mentale au travers de différents projets que nous avons montés.

Qu’est-ce qui vous a amenée à investir ce champ de la santé mentale ?

C’est un sujet que l’on travaille depuis longtemps. En 2018, on a réalisé une enquête sur les souffrances psychiques des jeunes en reprenant les travaux d’un psychiatre, le docteur David Gourion. Le questionnaire était assez conséquent, volontairement intrusif. On a été assez surpris de l’accueil par les jeunes : ils étaient contents qu’on s’intéresse à eux. Au total, nous avons récolté 250 questionnaires. Après étude, on a été étonnés des réponses, notamment sur les sujets des violences sexuelles et sexistes ou encore les pensées ou actes suicidaires. 30 % des sondés se sentaient concernés par ces sujets, et cela dans un contexte d’avant-Covid ! Face à ce constat, on a décidé de nous investir sur cette thématique de la santé mentale ainsi que sur le sujet de la santé physique.

Forts de ces enseignements, quelles actions avez-vous mises en œuvre pour répondre à cette problématique ?

Nous avons tout un panorama d’actions possibles. La santé mentale n’est pas le premier sujet dont on parle avec les jeunes. Il nous faut trouver des leviers pour les mobiliser. Un des leviers qui nous permet d’allier les deux dimensions (santé mentale et physique) est d’organiser des promenades. Le principe est simple : une heure, une heure et demie de promenade, sans aucun enjeu, excepté celui de passer un bon moment et de rencontrer d’autres jeunes dans un contexte plus détendu que celui qu’on peut avoir en atelier. Au début, 4 à 5 jeunes y participaient, et ils sont désormais un noyau de 30 jeunes qui poursuivent cette action, et ils sont partants tous les vendredis. Parmi les participants, il y a des jeunes “en marge”, de façon volontaire ou non, d’autres qui ne sont pas sortis de chez eux depuis longtemps, ou d’autres encore qui viennent avec leur chien car ils ne sont pas en capacité de rencontrer des gens seuls.

Quels sont les apports de cette action selon vous ?

Cette action nous permet de développer deux notions qui sont centrales lorsque l’on traite de la santé mentale : le pair-à-pair et le développement du lien social. C’est une opportunité pour leur permettre de faire connaissance entre eux, mais aussi avec les équipes de la Mission Locale, pendant cette promenade ou lors du moment convivial qui clôture ce temps.

Nous parvenons aussi à développer des projets avec eux grâce à cette action : les jeunes peuvent proposer des circuits, des lieux à visiter ou des associations, des acteurs locaux à rencontrer. On les aide ensuite à structurer leur proposition. Cela nous permet de répondre à l’une des difficultés du milieu rural : celle de mobiliser les jeunes. En s’appuyant sur ces jeunes engagés dans le projet, on arrive à mobiliser ceux qui sont plus hésitants et ainsi les aider à résoudre leurs difficultés.

Enfin, les jeunes ruraux, comme les jeunes de quartier, ont un sentiment d’appartenance très marqué ; ils sont fiers de faire découvrir leur territoire à d’autres jeunes. À partir de là, c’est plus facile de travailler sur cette notion de pair-à-pair et de les aider à prendre confiance en eux.

Pourquoi est-il important de se préoccuper de ce sujet de la santé mentale et de rompre l’isolement de ces jeunes ?

Selon moi, on ne peut arriver à lever les autres freins des jeunes ruraux sans se pencher sur cette question de la santé mentale et de la lutte contre l’isolement. On peut mettre en place toutes les actions possibles : aides pour passer un permis, accès aux formations ou à l’emploi… Si psychologiquement le jeune n’est pas prêt, on n’arrivera pas à l’engager dans ces actions. Enfin, à partir du moment où l’on arrive à rompre cet isolement en leur apportant une base sécurisée et valorisante, il est tout de suite plus facile de monter des projets avec eux ou entre eux, comme on l’a vu dans l’exemple cité précédemment. Cette notion de relation de pair-à-pair et de « faire avec » m’intéresse particulièrement et on essaie de l’insuffler dans la pratique professionnelle de la Mission Locale. Sur ce point, nous nous inscrivons dans la lignée de ce que préconisait Bertrand Schwartz dans son rapport en 1981 !

Découvrez les actions proposées par la Mission Locale du Bergeracois.

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