Publié le 04/09/2023

Interview réalisée par Olivier Cimelière, journaliste et auteur

Qu’est-ce qui vous a motivé pour devenir référent Justice ?

Je me suis lancé en 2007. J’avais déjà une bonne expérience des actions terrain au sein de la Mission Locale, en étant en charge de l’emploi. J’avais envie de découvrir un autre univers. J’ai alors eu l’opportunité de remplacer au pied levé une collègue qui partait en congé maternité. Au début, c’était beaucoup de « débrouille » car le poste de référent n’était pas financé comme aujourd’hui. Il y avait tout à faire et à structurer pour aider ces jeunes à bâtir, étape par étape, leur projet professionnel dans l’optique de leur future libération.

Il fallait également nouer des liens de confiance avec le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP) et la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) qui nous adressent les jeunes bénéficiaires. Autre défi à relever : donner une autre image de la maison d’arrêt aux yeux de futurs employeurs potentiels en les faisant venir sur place rencontrer des jeunes.

L’idée est que chaque acteur apporte sa pierre aux projets du jeune, afin d’éviter la récidive et de continuer un parcours sans rupture. Depuis 16 ans, ma motivation demeure intacte.

En quoi consiste votre activité, en général ?

Tous mes après-midis sont consacrés à la visite des jeunes en prison. Actuellement, je suis le référent Justice de la Mission Locale de 200 jeunes de 16 à 25 ans détenus dans le centre pénitentiaire de Grasse. Je suis notamment une vingtaine de mineurs en provenance de toute la France et souvent issus de familles dysfonctionnelles. Je mets un point d’honneur à ce que chacun puisse recevoir une visite individuelle 3 à 4 fois par mois. La régularité du lien est primordiale pour ces jeunes qui sont en situation d’échec et de rupture. Elle leur permet également de rester focalisés sur le projet d’après la vie carcérale.

J’organise également des ateliers et des forums de rencontre avec des intervenants divers que sont les employeurs locaux, les professionnels de santé, de la formation professionnelle, de l’Education nationale, etc. En collaboration avec un CPIP, nous avons aussi mis sur pied une pièce de théâtre intitulée « La justice se met en scène » avec de vrais professionnels pour incarner les rôles (police municipale, police judiciaire, procureur, avocat, juge d’application des peines, surveillant de la Pénitentiaire, CPIP, référent justice en Mission Locale). Cet exercice pédagogique de représentation de toute la chaîne pénale a permis au public présent de mieux comprendre la complexité et le parcours d’un justiciable de l’arrestation, au jugement, à l’incarcération jusqu’à son aménagement de peine. J’aimerais que ce type d’exercice puisse se reproduire dans toutes les régions de France pour que les gens puissent mieux appréhender les rouages de la justice et ainsi surmonter les clichés ou les résistances.

Enfin, une partie de mon temps de travail est consacré au travail administratif et à des réunions institutionnelles et techniques. Nous nous rencontrons pour statuer sur les dossiers en cours et les problématiques du moment concernant les jeunes dont j’assure le suivi.

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui s’apprête à devenir référent Justice ?

Avant d’opérer dans cet écosystème particulier, je conseille d’abord un parcours plus généraliste dans l’insertion sociale et la formation professionnelle. Cela permet de se forger une vision globale et de bien connaître les possibilités qui existent pour permettre à quelqu’un en difficulté de rebondir en construisant une vie stable. J’incite également fortement à augmenter ses connaissances sur le fonctionnement de la justice, les peines que les jeunes de 16 à 25 ans peuvent encourir ainsi que les recours. Sans oublier les droits et devoirs des jeunes emprisonnés. C’est essentiel de disposer d’un socle juridique et légal solide. D’abord pour bien orienter le jeune suivi mais aussi pour être crédible auprès d’un juge ou d’un procureur. A cet égard, le guide de l’Union nationale des Missions locales pourra franchement aider.

Ensuite, il faut posséder de fortes aptitudes à la communication interpersonnelle qui doit être dans le non-jugement, l’écoute active et le sens de la reformulation. Le référent est en relation avec des profils de jeunes qui sont complexes et qui ont des parcours de vie lourds. Il est crucial de les aider à exprimer des choses qu’ils refoulent ou esquivent afin de faire le bon diagnostic et orienter le jeune vers quelque chose susceptible de lui convenir. Souvent, un jeune se met en boucle et reste en situation d’échec en pensant que rien n’est pour lui, qu’il ne peut pas y arriver. Notre rôle est de les sortir de cette croyance, de les rassurer et de leur dire qu’il n’y a pas de déterminisme absolu. Autre point majeur : leur dire les choses clairement. Cela aide à gagner en confiance et en respect.

Enfin, il est important d’avoir une personnalité avec du caractère pour interagir avec les acteurs du système pénitentiaire et judiciaire. Tout en ayant du doigté et une certaine rondeur dans les rapports. Ces derniers travaillent dans des univers sous tension qui peuvent engendrer des rapports un peu abrupts. Il faut savoir déminer d’autant que c’est aussi dans l’intérêt des jeunes accompagnés. En fait, il n’y a pas de formation spécifique. C’est l’épreuve du terrain qui forge l’expérience ainsi que les échanges de bonnes pratiques entre référents de Missions Locales de la France entière.

Quels enseignements et observations retirez-vous de vos 16 ans d’activité ?

Certaines choses me frappent particulièrement. Je remarque notamment qu’aujourd’hui les jeunes incarcérés ont souvent des pathologies psychiatriques profondes. Certains relèvent même plutôt du médical que du pénal. Or, la prison peut être un milieu impitoyable où la violence entre les détenus n’est pas rare. Ce qui aggrave encore plus la situation de quelqu’un déjà en souffrance et en rupture avec la société. Autre observation : la violence de ces jeunes. Elle est devenue plus décomplexée et se manifeste pour un rien avec des comportements très agressifs, disproportionnés et destructeurs. Surtout s’ils fonctionnent en plus en bande. Certains n’ont même pas une compréhension de leurs actes. Ils pensent que c’est normal de se défouler et d’agresser une personne à plusieurs. C’est clairement une préoccupation.

Quel est le suivi dont vous êtes le plus fier ou ému ?

J’en ai beaucoup heureusement. Par exemple, j’ai eu hier des nouvelles d’un jeune homme que j’ai suivi pendant 7 ans. Il avait été incarcéré à Grasse à l’âge de 15 ans pour des actes criminels très graves. Il était géographiquement éloigné de sa mère, qui était par ailleurs également confrontée à des difficultés. C’était pour elle impossible de s’occuper de lui. J’ai beaucoup travaillé avec lui et en collaboration avec les services du SPIP et de la PJJ pour construire un projet professionnel où il puisse s’insérer durablement. Avant de sortir définitivement, il a travaillé sur un chantier de réinsertion et occupait un logement social. Aujourd’hui, il a 22 ans et il est plein de projets. Il gagne sa vie de manière autonome en travaillant dans deux restaurants. Il a passé son permis de conduire, a rencontré une jeune femme, a son propre appartement et même un chien et un chat. Il vient encore me voir, je suis comme un point d’ancrage. Cela fait un grand plaisir de voir sa désistence (Ndlr : sortie de la délinquance) et la confiance qu’il m’accorde.

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