Publié le 03/11/2025

Un mal-être croissant chez les jeunes

Quelles sont les problématiques rencontrées par les jeunes des Missions Locales, et plus généralement par la jeunesse, sur le sujet de la santé mentale ?

Philippe Robert (PR) : Les Missions Locales se trouvent confrontées à de plus en plus de jeunes en situation d’isolement et de détresse psychologique, avec peu de solutions d’accompagnement à leur proposer, en raison du manque, voire de l’absence selon les territoires, de structures de santé ou de praticiens en mesure de les aider. Ces jeunes nécessitent une compréhension de leurs difficultés et un accompagnement spécifique, face auxquels les professionnels sont souvent démunis. Il est donc indispensable de renforcer les équipes avec des spécialistes et de développer la formation des conseillers.

Keltoum Rochdi (KR) : Dans ma Mission Locale, à Cergy-Pontoise-Vexin, près de trois jeunes sur cinq nécessitent un accompagnement par notre pôle santé ou notre psychologue. Nous observons une hausse des troubles liés à l’anxiété, à la perte de confiance ou à l’isolement. Ces difficultés sont souvent liées à des situations familiales complexes, à la pression sociale et scolaire ou à la précarité économique. Le problème, c’est que beaucoup de jeunes banalisent leur mal-être. Leur santé mentale devient un sujet tabou, alors qu’elle devrait être le point de départ de tout accompagnement vers l’emploi ou la formation.

Des causes multiples, renforcées par la crise sanitaire

Vous évoquez une augmentation des jeunes en souffrance psychologique. Comment l’expliquez-vous ?

PR : La crise du COVID a amplifié des fragilités déjà présentes. L’isolement, les ruptures de soins et la mise en pause forcée de projets personnels ou professionnels ont aggravé la situation. Certains jeunes, jusque-là stables, ont basculé dans la détresse. Les réseaux sociaux, paradoxalement, accentuent aussi l’isolement et la comparaison permanente.

KR : La crise du COVID a effectivement renforcé les fragilités existantes. L’isolement, la rupture du lien social et la précarité accrue ont eu un impact fort. Les jeunes se sont retrouvés sans repères, et certains ont développé de véritables troubles anxieux ou dépressifs. Les réseaux sociaux, loin de toujours aider, accentuent souvent le mal-être.

Former, accompagner et interpeller

Au regard de ces problématiques, quelle est la position de l’UNML et quelles sont les actions conduites pour y répondre, en lien avec le réseau ?

KR : L’UNML considère la santé mentale comme un pilier essentiel de l’accompagnement global. Notre priorité est de sensibiliser et de former les professionnels à ces enjeux, en lien avec les Agences régionales de santé. Nous travaillons aussi à renforcer les partenariats nationaux afin d’articuler au mieux les dispositifs entre le niveau local et les acteurs de santé publique.

PR : Pour adapter nos actions, nous avons besoin d’un état des lieux précis des difficultés rencontrées sur le terrain. C’est à partir de cette connaissance que nous pourrons agir efficacement. Enfin, notre rôle national est aussi d’être la voix des jeunes et des structures : alerter les pouvoirs publics, interpeller les décideurs et plaider pour des moyens à la hauteur des besoins.

Des initiatives locales pour pallier les carences du système de santé

En tant qu’élus locaux, comment, dans vos Missions Locales respectives, articulez-vous les priorités nationales de l’UNML en matière de santé mentale avec les besoins spécifiques de vos jeunes sur vos territoires ? Y a-t-il des disparités selon les territoires ?

KR : Certains territoires ont commencé à travailler sur ces questions bien en amont et n’ont pas attendu que cela soit décrété Grande Cause nationale pour agir. Dans ma structure, nous avons la chance d’avoir une psychologue salariée, et depuis 2021 dans le cadre de ma délégation à l’agglomération de Cergy  Pontoise avec le Conseil Local de Santé Mentale, ( CLSM) en lien avec l’ARS nous avons développé des plans d’actions et de sensibilisation au cœur des quartier et lancer le premier forum de santé mentale. Nous proposons aussi des groupes d’échanges, d’écoute, des formations de premiers secours en santé mentale ou encore des actions de sensibilisation au bien-être et à la gestion du stress.

PR : Au sein de la Mission Locale Alpes Sud Isère, nous avons mis en place des formations aux premiers secours en santé mentale. Nous avons aussi un partenariat avec l’ARS pour disposer d’un psychologue à temps partiel (20 %). Cela permet de mieux orienter les jeunes et d’accompagner les équipes. Malgré ces efforts, la réalité de mon territoire [NDLR : l’Isère] est très inquiétante : manque d’urgences psychiatriques, équipes spécialisées insuffisantes, hôpital saturé, pénurie de professionnels… Beaucoup de jeunes s’enferment ainsi dans leurs difficultés.

Une journée nationale

Le 9 octobre dernier, l’UNML a organisé la première journée thématique “Le réseau en action” sur la santé mentale des jeunes. En tant que membres du bureau référents santé et animateurs de cette journée, quel a été pour vous l’impact de cet événement et quels échos a-t-il trouvés au sein du réseau ?

PR : Cette journée nous a permis de mesurer l’intérêt du réseau pour cette question. Le très bon nombre de participants et la qualité des échanges et des initiatives présentées prouvent la nécessité de s’emparer de ce sujet et d’y apporter des réponses concrètes. Enfin, la présence de responsables en santé publique a permis de croiser les regards et de renforcer les coopérations.

KR : Cette journée a eu un impact fort. Elle a permis de libérer la parole sur des sujets qui sont, comme évoqué précédemment, un peu tabous. Elle a aussi permis de commencer à mutualiser les initiatives locales. En résumé, cela vient renforcer la cohésion de notre réseau et permet à l’UNML de porter le message que la santé mentale n’est pas un sujet parmi d’autres : c’est un enjeu de santé publique, d’insertion et de dignité humaine. On ne peut pas parler de santé sans parler de santé mentale. Nous devons désormais poursuivre ces échanges et capitaliser sur les expériences réussies grâce à une coordination nationale.

Le besoin des retours du terrain

Le deuxième “Cahier d’expert” produit par l’Observatoire des jeunes de la Mission Locale de Montpellier a été dédié à la santé mentale des jeunes. En quoi ce type de production éclaire-t-il le réseau et alimente-t-il votre action en tant qu’élus référents santé ?

KR : Ces productions sont précieuses. Elles offrent une analyse fidèle de ce qui est constaté sur le terrain et mettent en lumière les différentes causes du mal-être ainsi que des pistes d’action. Cela nous permet d’alimenter les réflexions au niveau national et d’avoir une mise en œuvre plus juste et plus efficace.

PR : De par leur implantation, les Missions Locales disposent d’une connaissance fine du terrain, sans toujours pouvoir la mutualiser. Ce type de travail, mené par la Mission Locale de Montpellier, donne au réseau des bases précises et quantifiées d’une réalité souvent ressentie mais rarement documentée. Ce travail est donc essentiel pour rendre nos interpellations des administrations nationales plus pertinentes, faire reconnaître cette dimension de notre mission et obtenir les moyens nécessaires

Quels moyens pour la santé mentale des jeunes ?

Vous avez évoqué tout au long de cet entretien la question des moyens humains et financiers. Dans un contexte où le projet de loi de finances prévoit une baisse inédite du financement des Missions Locales, existe-t-il un risque de voir ces problématiques de santé mentale s’aggraver faute de moyens ?

PR : L’inquiétude est forte. Les Missions Locales tentent, avec les moyens limités dont elles disposent, de pallier les carences d’un système de santé qui ne peut plus répondre aux besoins des jeunes en matière de santé mentale. Réduire le budget du réseau, c’est amputer les chances de réussite de ces jeunes, qui ont besoin d’un accompagnement plus long et plus spécifique que d’autres. Le risque est de marginaliser encore davantage cette partie de la jeunesse, déjà en difficulté. C’est la double peine pour eux.

KR : Nous sommes face à des décideurs qui cherchent à multiplier les économies sans prendre la mesure des réalités du terrain, à savoir la vie des jeunes et le travail des professionnels qui les accompagnent. Si cette baisse se confirme, il y aura des répercussions graves sur la santé mentale des jeunes suivis. D’autre part, nous avons aussi un rôle de prévention, notamment à travers nos interventions dans les établissements scolaires. Avec quels moyens pourrons-nous continuer à le faire ? C’est une inquiétude majeure aujourd’hui.

Retour