Publié le 24/06/2025

Portée par Noor-Yasmin Djataou, Hélène Furnon-Petrescu et Carine Seiler, inspectrices à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), le rapport « Pauvreté et conditions de vie des jeunes dans le monde rural : comment adapter les réponses institutionnelles ? » apporte un éclairage sur la pauvreté des jeunes ruraux de 16 à 29 ans, leurs conditions de vie, et analyse leurs facteurs spécifiques de fragilité, au regard de ceux de l’ensemble de la jeunesse. Au cœur de cette étude, 30 recommandations opérationnelles sont formulées pour répondre aux problématiques soulevées.

Pouvez-vous nous présenter le contexte qui a amené l’IGAS à réaliser cette étude ?

La décision de réaliser cette étude part d’un constat effectué dans un contexte post-Covid. Alors que de nombreux acteurs faisaient remonter une aggravation des difficultés rencontrées par les jeunes – précarité, problèmes d’isolement et de santé mentale, difficultés sociales … -, l’IGAS a souhaité documenter ce phénomène en se concentrant sur la situation des jeunes vivant en milieu rural.
Avec mes collègues Noor-Yasmin Djataou et Hélène Furnon-Petrescu, nous avons, dans le cadre de ces travaux, rencontré plus de 350 interlocuteurs au niveau national mais aussi dans les territoires (8 territoires ruraux visités) de février à novembre 2024. Le choix de multiplier les rencontres de terrain était essentiel afin de refléter la diversité des réalités rurales.
Au fil de ces échanges et entretiens, nous avons abordé les différentes problématiques auxquelles les jeunes ruraux sont confrontés : la santé et notamment la santé mentale, la mobilité qui détermine largement l’accès à la formation et l’accès à l’emploi, mais aussi l’accès aux droits, sans oublier la question de l’isolement ou de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Quels sont les principaux enseignements de cette étude ?

Ils font face à des problématiques spécifiques au milieu rural : éloignement des services publics, offre d’emploi moins développée, etc. Tout cela contribue à une perte de repères et à des difficultés à se projeter dans un avenir professionnel ou personnel. De là naît un sentiment de ne pas être suffisamment pris en compte par les politiques publiques, voire un sentiment d’abandon.
Le rapport s’est aussi penché sur les politiques publiques susceptibles de concerner les jeunes ruraux. Malgré les démarches émergentes d’aller-vers, la faible densité de population dans les zones rurales entraîne une couverture bien moindre que dans d’autres territoires. Les acteurs présents dans les territoires ruraux sont souvent plus polyvalents, pour compenser l’éloignement des autres acteurs, et très engagés mais cet éloignement ne fait jamais l’objet de mécanismes de compensation de la faible fréquentation, ce qui rend leur intervention fragile au regard des modèles économiques habituels. En outre, les actions d’aller-vers, cruciales dans ces territoires, sont souvent conventionnées dans le cadre d’appels à projets qui rendent difficiles l’inscription de ces interventions dans le temps long.

Une opposition est souvent faite entre les publics résidant en QPV (quartiers prioritaires de la politique de la ville), qui bénéficient de politiques publiques spécifiques, et les publics ruraux. Quel est votre regard sur cette opposition ?

Les jeunes ruraux sont confrontés à des problématiques spécifiques à leur territoire, qui varient fortement selon les zones. Néanmoins, ce sont des jeunes comme les autres. Comme le montrent plusieurs études sociologiques, certaines de leurs difficultés sont également vécues par les jeunes des QPV, comme le sentiment d’invisibilité ou des phénomènes d’auto-censure.
Il n’est donc pas pertinent d’opposer ces jeunes ou ces territoires. Comme pour les QPV, la construction d’une politique prioritaire parait incontournable tout en étant attentif à adapter les réponses aux besoins des territoires (et non à plaquer des solutions QPV sur les besoins des jeunes ruraux) : en zone rurale, les réponses doivent permettre de compenser la faible densité et absence de services publics.

Votre étude pointe des phénomènes de stigmatisation et de sexisme marqués chez les jeunes ruraux. Comment l’expliquez-vous ?

Faute de données suffisantes, il a été difficile de documenter finement ces phénomènes par des approches statistiques. Les données disponibles montrent néanmoins que les jeunes femmes vivant en milieu rural sont plus nombreuses à quitter le territoire pour faire des études que les jeunes hommes. En revanche, celles qui restent peuvent se retrouver dans des situations plus difficiles, marquées par l’isolement, lié à l’idée de « faire partie du coin » : un principe qui, bien que porteur de solidarité, peut générer des mécanismes d’auto-censure ou de pression sociale, limitant leurs possibilités.
Des sociologues ont observé des similitudes sur ce point avec les publics résidant en QPV.

Quelles sont les réponses à apporter aux problématiques des jeunes ruraux ?

Il n’est sans doute pas possible de réimplanter tous les services publics dans les zones rurales et, pour ces jeunes, ce n’est sans doute pas non plus souhaitable. Il est important de construire le « voyage », la découverte de l’ « ailleurs », il faut rendre possible le « partir / revenir ». Pour les jeunes confrontés à ces difficultés, c’est très exigeant : il faut accompagner cette possibilité et organiser, en grande proximité, l’acquisition des compétences psychosociales et de la mobilité. Cela implique que les services publics permettant ces acquisitions soient implantés au plus près des lieux de vie des jeunes — pas seulement dans les grandes villes voisines. Nous plaidons pour une approche articulée entre offre de services de proximité qui permet l’acquisition de compétences psychosociales, capacité à se projeter ailleurs, santé mentale, et la possibilité de « découvrir l’ailleurs ».
Sur ce dernier point, nous encourageons le développement de parcours de formation permettant aux jeunes de partir pour ensuite revenir s’installer et travailler sur leur territoire.
Pour cela, il est indispensable que les acteurs puissent s’implanter durablement. Nous proposons notamment que les acteurs qui interviennent sur ces différents volets puissent bénéficier d’un bonus, qui viendrait compenser financièrement la faible densité de ces territoires, afin de garantir l’accès à des services essentiels.

Quels rôles peuvent jouer les Missions Locales pour répondre aux problématiques des jeunes ruraux ?

Au cours de notre étude, nous avons rencontré de nombreuses Missions Locales très investies. Certaines organisent des ramassages inclusifs pour amener les jeunes vers les services du territoire ; d’autres prêtent des scooters ; certaines conduisent des actions avec l’Association régionale de santé (ARS) sur la santé mentale…
Il faut maintenant que ces initiatives fassent système.
Chacun à son échelle peut agir, il appartient sans doute au réseau des Missions Locales de se saisir de ces enjeux et de conduire une réflexion globale sur un bouquet de services à proposer aux territoires ruraux, pour éviter une perte de chance et apporter des réponses concrètes aux jeunes de ces territoires.

Retrouvez la présentation de l’étude de l’IGAS par Noor-Yasmin Djataou, Hélène Furnon-Petrescu et Carine Seiler durant le Traits d’Union du 24 juin.

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